Par un arrêt du 12 juillet 2012 la Cour de cassation (Chambre civile 1, 12 juillet 2012, 11-20.358, Publié au bulletin) vient casser un arrêt d’appel du 3 mai 2011 (Cour d’appel de Paris du 3 mai 2011) qui avait écarté la responsabilité de la société Google dans une affaire l’opposant au Syndicat national de l’édition phonographique (SNEP) agissant pour les intérêts de maisons de disques. Le litige concernait le système « Google Suggest » qui comme son nom l’indique, a pour objet de suggérer des intitulés de requêtes en dessous du champ de saisie lorsque l’utilisateur commence à taper les premières lettres de sa recherche.

Tout utilisateur de Google en fait donc l’expérience quotidiennement : ce service tend à suggérer les requêtes les plus populaires, ce qui n’est pas sans poser certains problèmes, puisque les sujets les plus recherchés sont parfois les plus racoleurs, les moins fondés ou concernent des activités illégales. Ainsi en est-il lorsque les suggestions de Google mettent en avant des intitulés de recherches concernant des moyens de téléchargements illégaux d’oeuvres protégées par le droit d’auteur. En l’espèce, le moteur « suggérait systématiquement d’associer à la saisie de requêtes portant sur des noms d’artistes ou sur des titres de chansons ou d’albums les mots-clés « Torrent », « Megaupload » ou « Rapidshare », qui sont, respectivement, le premier, un système d’échange de fichiers et, les deux autres, des sites d’hébergement de fichiers, offrant la mise à disposition au public et permettant le téléchargement des enregistrements de certains artistes-interprètes« .

Dés lors, le SNEP entendait-il que soit ordonné « aux sociétés Google France et Google Inc la suppression des termes « Torrent », « Megaupload » et « Rapidshare » des suggestions proposées sur le moteur de recherche« . Déboutée de ses demandes en appel, le SNEP a cependant vu son pourvoi accueilli favorablement par la Cour de Cassation, cette dernière, cassant l’arrêt des juges du fond au motif d’une violation des articles L. 335-4 et L. 336-2 du code de la propriété intellectuelle. Plus spécifiquement, ce dernier article prévoit que « En présence d’une atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin occasionnée par le contenu d’un service de communication au public en ligne, le tribunal 5 […] [peut prendre] toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier« .

Pour sa part, la Cour d’appel avait en effet suivi Google qui estimait que l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle ne pouvait pas s’appliquer dès lors que l’atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin n’était pas rapportée, puisque seulement potentiel, le téléchargement illégal n’aayant pas encore eu lieu. Mais la Cour d’appel avait, peut-être maladroitement, ajouté au soutien de son raisonnement que la mise en place d’opérations de filtrage ou la suppression de la suggestion n’empêcherait pas le téléchargement illégal de phonogrammes ou d’œuvres protégées dès lors que le contenu litigieux resterait accessible en dépit de la disparition de la suggestion sur Google.

La Cour de cassation fait une autre lecture du texte en estimant que ce dernier n’exige pas que la mesure ordonnée soit d’une parfaite efficacité pour qu’elle puisse être prononcée en vertu de l’article L 336-2 du code de la propriété intellectuelle. Il suffit que la mesure tende à « contribuer à y remédier en rendant plus difficile la recherche des sites litigieux, sans, pour autant, qu’il y ait lieu d’en attendre une efficacité totale« .

Nous ne déduirons donc nullement de cet arrêt que Google est responsable d’une quelconque illégalité de ses suggestions ce que certains voudraient sans doute y voir. Google subit en effet de régulières pressions se soldant parfois par des actions en vue de faire interdire certains termes ou noms du système Google Suggest. Ainsi, récemment, différentes associations juives ont initié une action afin de faire cesser l’association du qualificatif « juif » aux noms d’un grand nombre de personnalités dont le patronyme fait régulièrement l’objet de requête. En réalité  les sociétés Google pourraient aisément éviter le procès dans la plupart des cas en acceptant les mesures demandées par les prétendues victime. Cependant, une acceptation systématique des demandes de censure du service aurait certainement des effets pervers au nombre desquels on citera une inflation non maîtrisée de ce type de demande ainsi qu’un risque global d’appauvrissement progressif de la richesse de l’outil de Google.

Mais l’arrêt confirme surtout l’important pouvoir donné aux juges en matière de lutte contre la contrefaçon d’oeuvres protégées par le droit d’auteur et les droits voisins. A tout le moins en ce domaine bien précis, Google pourrait donc voir son système censuré, en tant que maillon facilitateur de la contrefaçon sur internet, sans que cela ne présume d’une quelconque responsabilité. C’est sans doute là la grande force de l’article  L 336-2 du code de la propriété intellectuelle que de ne pas rattacher la mesure au statut de contrefacteur avéré.

Gérald SADDE – Avocat Associé