On entend beaucoup de choses sur les capacités des intelligences artificielles à révolutionner les métiers les plus variés, qu’il s’agisse d’optimiser des tournées de livraison, de rechercher l’adéquation entre offres et demandes d’emploi ou encore de résoudre des enquêtes policières. L’IA permettrait de résoudre les problèmes les plus complexes lorsque le nombre de variables est tellement important que même les cerveaux les plus brillants ne suffisent plus à traiter le volume d’informations pour en dégager une solution ou un mode global de fonctionnement. Bien entendu, les métiers juridiques ne font pas exception à la règle, et l’on commence à fantasmer des programmes capables de raisonner en droit et de se substituer ainsi aux juristes, avocats, magistrats, notaires…[1]

Il est vrai que l’IA peut certainement rendre de grands services au monde du droit, ne serait-ce que dans un effort de rationalisation de l’information juridique qui peut faciliter les recherches pour une plus grande exhaustivité, ou dans la mise en œuvre d’analyses statistiques en vue d’anticiper la tendance probable de certaines décisions judiciaires ou d’autorités.

Mais concernant le raisonnement juridique, le doute est permis, du fait même de la façon dont est construite la matière juridique. L’architecture des raisonnements du droit, bien que pouvant théoriquement être commune à tous les praticiens, appartient néanmoins à chacun lorsqu’il s’agit de la mettre en application puisque comportant une couche plus ou moins forte d’interprétation[2], comme en témoigne l’utilité du rôle du juge dans l’application de la règle de droit.

Le raisonnement juridique se retrouve dans toutes les activités juridiques : réaliser une consultation ou un audit juridique, faire une recherche, écrire des conclusions, rédiger une décision de justice, préparer une plaidoirie… Toutes nécessitent du « jus de cerveau » de juriste. L’IA peut-elle vraiment mener à bien de telles tâches ?

Le doute est permis, à tout le moins en l’état de ce que sont les IA aujourd’hui. Une IA traitant un grand nombre de raisonnements ne pourra donc très certainement qu’en tirer des conséquences théoriquement tout à fait exactes, mais totalement inapplicables, voire dangereuses, en pratique. Le droit est parfois irrationnel car humain. Un raisonnement empirique inculqué à une IA ne pourra donc rester pertinent que dans un périmètre de cas anticipés par le programmeur.

Cependant une telle IA pourra apprendre de chaque cas pour lequel elle n’a pas eu de réponse et élargir ce périmètre sous la supervision d’un humain qui sera là pour lui confirmer que la solution est irrationnelle mais « humainement normale ».

On supposera donc que le droit a besoin d’humains pour évoluer selon des critères tout aussi humains. Une IA aura de grandes difficultés à être innovante dans ses décisions qui se nourrissent de modèles de raisonnements pré-constitués et de données concernant les expériences passées. Mettre l’Humain en équation n’est pas une chose facile. Einstein disait « La théorie, c’est quand on sait tout et que rien ne fonctionne. La pratique, c’est quand tout fonctionne et que personne ne sait pourquoi.(…) ». Le droit, c’est sans doute un peu cela, avant tout de la pratique ! Pratique dans laquelle les IA nous aideront certainement grandement à devenir plus efficaces pour répondre aux demandes d’un monde toujours plus complexe [3].

Nous-mêmes avocats avons d’ailleurs décidé, au travers du service Legal Pilot [4], de prendre les devants en digitalisant nos procédures et outils afin d’accueillir plus facilement une IA toujours plus avide de données.

 

Voilà donc l’avènement inéluctable de l’ère du cognitive computing pour l’optimisation, voire l’industrialisation du workflow des cabinets d’avocats et des services juridiques [5].

Gérald SADDE

 

[1] http://www.usine-digitale.fr/article/d-ici-a-2030-des-processeurs-d-intelligence-artificielle-remplaceront-les-avocats-predit-un-rapport.N301383

[2] http://www.dalloz-actualite.fr/chronique/justice-predictive-en-question#.WVC4WWjyj39

[3] https://www.solicitorsjournal.com/opinion/201706/march-robots-rise-artificial-intelligence-legal-profession

[4] https://www.legal-pilot.com/

[5]–          https://www.dentons.com/en/whats-different-about-dentons/connecting-you-to-talented-lawyers-around-the-globe/news/2015/may/dentons-launches-nextlaw-labs-creates-legal-business-accelerator

         http://www.autto.io/