Au-delà de l’aspect pénal, la divulgation d’informations confidentielles a aussi des répercussions en droit du travail, et plus particulièrement en matière de licenciement. En effet, la Cour d’appel de Bordeaux a récemment constaté que le simple fait pour un salarié de transférer par mail, de sa messagerie professionnelle à sa boîte personnelle, des données confidentielles de l’entreprise est une violation de l’obligation de confidentialité mentionnée à la fois au contrat de travail et dans le règlement intérieur de l’entreprise, et constitue ainsi une faute grave justifiant son licenciement[1].

En l’espèce, un ingénieur de la société Epsilon Composite, leader mondial d’un procédé de fabrication protégé par brevet (la pultrusion de fibres optiques), avait été invité par la direction à entamer une procédure de rupture conventionnelle de son contrat de travail. Il avait alors procédé au transfert de 261 mails comportant des données techniques confidentielles propres à l’entreprise de sa boîte professionnelle vers sa boîte personnelle, sans les divulguer à une tierce personne. S’apercevant de ce transfert, la société Epsilon Composite a d’abord porté plainte pour vol et a convoqué ce salarié pour un entretien préalable au licenciement avec mise à pied. Ce dernier a saisi le conseil de prud’hommes aux fins de voir résilier son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur. Le Conseil de Prud’homme a rejeté sa demande et qualifié le transfert des mails de faute grave justifiant son licenciement. Le salarié a fait appel de cette décision. Dans son arrêt du 27 mars 2012, la Cour d’appel de Bordeaux a confirmé la position des juges du premier degré.

Tout d’abord, dans le cadre de sa défense, le salarié avait allégué que l’employeur avait violé le secret des correspondances et obtenu la preuve des détournements par un moyen illicite. Nous rappellerons à cette occasion que les courriers reçus par un salarié sur son lieu de travail sont protégés par le secret des correspondances à partir du moment où le caractère personnel  est précisé[2]. Ce principe s’applique également aux messages électroniques, même si une utilisation non professionnelle de la messagerie de l’entreprise est interdite. Ainsi, il est en principe interdit à l’employeur de lire ou d’utiliser ce type de courriers sans autorisation. Comme le souligne la Cour, le caractère confidentiel des correspondances n’étant pas spécifié, c’est à bon droit que l’employeur a pu lire ces messages et s’en prévaloir. La position du Tribunal et de la Cour d’appel n’est pas critiquable sur ce point. La question ne portera donc pas sur la violation du secret des correspondances mais plutôt sur la violation de l’obligation de confidentialité.

Sur ce point, la décision mérite une plus grande attention. En effet, le règlement intérieur de la société ainsi que les accords de confidentialité et de non concurrence stipulent respectivement que « l’ensemble des documents et matériels détenus par le personnel dans l’exercice de ses fonctions est confidentiel et ne peut être divulgué » et d’autre part que le salarié « ne divulguera à quiconque les formulations de fabrication, les études, savoir-faire industriel projet etc résultant de travaux réalisés dans l’entreprise qui sont couverts par le secret professionnel le plus strict». On remarque que ces deux textes utilisent le terme « divulguer ». Selon le sens courant du terme, la divulgation est l’action qui consiste à « porter à la connaissance du public »[3]. Ainsi, la décision nous semble critiquable puisque les données ont simplement été transférées sur la boîte mail personnelle du salarié, sans aucune révélation à toute autre personne.

Le fait de transférer ces données sur un compte extérieur à l’entreprise ne peut être qualifié de divulgation. D’autre part, pour aller au-delà des textes internes à l’entreprise, les infractions pénales, que ce soit la révélation du secret de fabrique[4], l’atteinte au secret professionnel[5] ou encore le projet de loi concernant la violation du secret des affaires[6], utilisent le verbe « révéler » qui suppose la rupture de la confidentialité. Aussi, il convient de remarquer que le salarié défendait n’avoir nullement l’intention de divulguer ces informations puisque ce dernier les avait transférées dans le seul objectif de se défendre dans le cadre de son licenciement et ce, sur conseil de son avocat. La Cour d’appel avait alors répondu à cet argument en constatant que le salarié n’avait pas établi en quoi ces informations confidentielles pouvaient être utiles à sa défense.

Ainsi, si nous procédons à une interprétation à contrario de l’attendu de la Cour d’appel, nous en déduirons que si le salarié était parvenu à prouver que les données confidentielles étaient nécessaires à sa défense dans le cadre de la procédure de licenciement, la violation de la clause de confidentialité n’aurait pas forcement été retenue. Par conséquence, la Cour d’appel poserait une forme de présomption de mauvaise foi, d’intention de nuire du salarié face à de tels actes, mauvaise foi que le salarié se doit de combattre en apportant la preuve de sa bonne foi.

Œuvre collective :

Pierre BATAILLE – Juriste

sous la direction de  Gérald SADDE – Avocat



[1] CA Bordeaux, Chambre sociale, n°10/06433, 27 mars 2012

[2] Cass. Mixte 18-5-2007 n°05-40.803 : RJS 7/07 n°810

[3] Le Petit Robert de la Langue française, édition 2006

[4] Article L .1227-1 du Code du travail

[5] Article L.226-12 du Code pénal

[6] Texte n° 284 (2011-2012) transmis au Sénat le 24 janvier 2012